Guillaume Leblanc, mission Lescure : le point de vue des producteurs

Notre profession n’est pas comprise ou mal comprise

Guillaume Leblanc, directeur général du Snep
Guillaume Leblanc, directeur général du Snep

Pour sa première interview le nouveau directeur du syndicat de l’édition phonographique explique qu’il entend continuer d’expliquer aux pouvoirs publics la réalité du marché du disque mais se dit satisfait du maintien de la réponse graduée.

– Comment voyez-vous votre action à la tête du SNEP ?
Je souhaite aller au-delà de cet acronyme et inscrire le SNEP dans une réalité tangible. Aujourd’hui, les producteurs de musique souffrent à tort d’un déficit d’image parce que notre profession n’est pas comprise ou mal comprise. Pour sortir de la caricature qui en est souvent faite, il me semble impératif d’expliquer la réalité du métier en France en 2013 et de combattre les idées reçues. Qu’est ce qu’un producteur de musique ? C’est un professionnel qui met son énergie et sa vision au service de l’artiste pour lui permettre de rencontrer son public. C’est un porteur de projets artistiques, qui accepte de prendre des risques et accompagne son artiste dans le développement et la direction de sa carrière. A l’ère du numérique, cette plus-value du producteur est plus que jamais d’actualité.
Le SNEP n’a pas eu la partie facile ces derniers mois avec la rue de Valois.

– Comment allez-vous faire pour être enfin entendu au ministère ?
Je regrette que les préoccupations des producteurs de musique n’aient pas été entendues par la mission Lescure, justement parce que celle-ci n’a pas su établir objectivement le bon diagnostic de l’économie de la production musicale en France. N’oublions pas que le marché de la musique enregistrée a perdu plus de la moitié de sa valeur sur la dernière décennie, impactant durement tous les acteurs de la chaine du disque, et notamment les maisons de disque qui ont supprimé des milliers d’emplois. C’est un constat objectif. Il nous appartient désormais d’approfondir ce travail de pédagogie vis-à-vis des pouvoirs publics mais aussi du grand public. Nous serons toujours prêts à faire toute la pédagogie qu’il faudra.

En dehors du SNEP et de l’UPfi, la plupart des acteurs de la filière musicale accueillent plutôt favorablement le rapport Lescure. Les producteurs ne se sentent-ils pas un peu isolés ?
Comme les autres acteurs de la filière, nous sommes satisfaits que le rapport Lescure reconnaisse la pertinence du mécanisme de la réponse graduée, que nous avons toujours soutenu, et en préconise la sanctuarisation. Nous attendons sur ce point un signe fort du
Gouvernement, même si le montant de l’amende proposée au terme de la succession d’avertissements pédagogiques nous semble franchement insuffisant et donc contre-productif pour la cohérence du dispositif. Nous partageons également avec les acteurs de la filière musicale et les autres filières culturelles la nécessité de corriger le transfert de la valeur qui s’opère depuis des années au détriment des industries du contenu en associant tous ceux qui les diffusent, comme l’analyse le rapport Lescure. En revanche, nous ne pouvons nous satisfaire de préconisations dogmatiques qui remettent directement en cause la pérennité du métier de producteur.

– Le rapport préconise notamment de parvenir à un accord sur des taux et une assiette minimum pour la rémunération des artistes.Le SNEP est-il disposé à en discuter ?
On va donc nous demander de se mettre autour de la table et de discuter dans un cadre inflexible, en étant les seuls à faire des concessions, le tout sous la contrainte d’une loi. Peut-on sérieusement appeler cela de la négociation ? Je veux bien que l’on me parle de gestion collective mais je n’ai toujours pas compris les raisons pour lesquelles ce serait la solution miracle à la soi-disant spoliation des artistes-interprètes qui serait opérée par les producteurs pour les exploitations en ligne. Que l’on me démontre par une étude claire et objective cette situation, au-delà des chiffres fallacieux avancés par certaines SPRD pour servir leur intérêt particulier et non celui des artistes qu’elles représentent. D’après ma lecture du rapport, cette étude sera le fruit du travail du CSA. Nous leur fournirons donc les éléments dont ils ont besoin. Je note simplement que l’on se focalise par erreur sur le partage des profits, la royauté, avant même de parler de partage des revenus. C’est un non sens économique car les revenus ne se confondent pas avec les bénéfices. Prenons les choses dans l’ordre.

– Même question concernant la relation contractuelle avec les éditeurs de services, que le rapport propose d’encadrer avec un « code des usages » plus pérenne et contraignant que les 13 engagements Hoog… Ces 2 concessions écarteraient la menace d’une gestion collective obligatoire ?
Vous reconnaissez vous-même dans votre question que les producteurs doivent, de ce coté-la également, faire des concessions, encore une fois sans contreparties. C’est la double peine ! Nos relations contractuelles avec les plateformes sont déjà régies par les engagements pris dans le cadre de la Charte Hoog que nous avons d’ailleurs respecté. Ce nouveau « code des usages » que propose la mission Lescure ne viserait pas à un encadrement contractuel mais cherche à faire financer le lancement de nouvelles plateformes numériques françaises. C’est un objectif respectable, mais pourquoi faire supporter ce coût de développement aux seuls producteurs de musique ?

La copie privée est un pacte de confiance

– Pourquoi vous opposer à l’idée de taxer les appareils connectés ?
La copie privée est un pacte de confiance entre les créateurs et leurs publics qui a prouvé sa pertinence. Bien entendu, l‘évolution des usages amène à envisager l’évolution de son périmètre, ce qui n’est d’ailleurs pas une réflexion nouvelle. Je demeure simplement perplexe quant à la substitution de ce mécanisme par une nouvelle taxe, dont le périmètre, le produit et les modalités de répartition, à ce stade, m’interrogent plus qu’ils ne me rassurent.

Quelles sont les prochaines échéances ?
La ministre de la Culture et de la Communication devrait réunir dans le courant du mois de juin les différents acteurs de la filière et annoncer les premières orientations retenues. Nous sommes confiants dans la capacité de la ministre à faire preuve de clairvoyance dans les pistes de travail arrêtées.

Propos recueillis par Philippe Astor et Emmanuel Torregano

Ecran Total N°943