20/03/2013 – Le Rapport JRC sur la consommation de musique sur Internet : une étude biaisée et déconnectée du principe de réalité

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Un rapport publié par l’Institut pour les Etudes Prospectives Technologiques, financé par La Commission Européenne, présente une estimation des effets du téléchargement illégal sur les achats de musique légale.

Cette étude prétend que la consommation illégale de musique ne se substitue pas aux achats légaux de musique numérique. De même elle considère que la violation des droits d’auteur n’a pas d’incidence négative sur les revenus des titulaires de droits.

Ses conclusions apparaissent comme déconnectées de la réalité commerciale, basées sur une appréhension tout à fait partielle du marché. Elles sont éminemment contestables dans la mesure où elles entrent en contradiction avec de nombreuses études indépendantes qui confirment l’incidence négative de la piraterie sur le développement de la musique légale.

Par ailleurs, la méthodologie utilisée suscite de vives réserves : les informations utilisées concernent le nombre de « clics » ou de « visites » sur les services légaux et illégaux de musique dans 5 des principaux marchés européens (France, Allemagne, Italie, Espagne, Grande Bretagne). Or ce critère n’est pas pertinent, dans la mesure où aucune transaction de musique n’y est comptabilisée ou analysée, et où toutes les conclusions sont basées sur des approximations et des estimations d’usages de musique.

Au travers de la méthode utilisée, se pose notamment la question de la prise en compte des « clics » sur I-Tunes. Mesurer l’usage de l’application I-Tunes pour évaluer la consommation légale de musique sur ce service est une aberration. En effet, ces usages peuvent concerner n’importe quelle activité, comme par exemple brancher tout simplement son iPhone sur son PC (ce qui lance automatiquement l’application I-Tunes) ou synchroniser son matériel Apple avec un PC, ou encore louer un film ou télécharger une application de jeux sur I-Tunes. Or chacune de ces actions est comptée comme un « clic  I-Tunes » et considérée comme un usage légal de musique par JRC, ce qui  naturellement gonfle artificiellement les actes d’achats légaux et influe profondément sur les résultats.

Par ailleurs, que certains pirates soient également des acheteurs légaux n’est pas nouveau, cela est démontré par d’autres études. Mais une publication récente de Kantar World Panel au Royaume Uni, basée sur des achats quotidiens de musique montre qu’une large proportion (44%) d’utilisateurs de service peer to peer n’achète jamais de musique légalement. De même, en 2010 une étude du groupe NPD aux USA mettait en avant le fait que moins de la moitié des utilisateurs de peer to peer achetaient de la musique : 44% seulement achetaient des CDs et 35% des téléchargements.

Dans ces conditions, si une large proportion de pirates n’achète pas de musique (et néanmoins en consomme une grande quantité), comment expliquer que des comportements illégaux peuvent encourager les ventes de téléchargements et n’infliger aucun dommage à l’industrie musicale ?

Au-delà des réserves soulevées par les données elles-mêmes de l’étude JRC, sa principale critique réside dans l’affirmation selon laquelle la violation du droit d’auteur n’aurait pas d’effet négatif sur les revenus numériques de la musique.

L’étude appréhende de manière très partielle ces revenus issus du digital en ne prenant en considération que ceux provenant du téléchargement.

Affirmer que les usages illicites sont complémentaires des comportements légaux, ou stimulent potentiellement l’activité des pirates sur les services légaux, est donc une profonde erreur.

L’étude JRC indique que 73% des internautes de l’échantillon analysé ont cliqué au moins une fois sur un site de musique illégale en 2011, tandis que 57% cliquaient sur un site légal. Cet engagement supérieur des internautes auprès des services illégaux en Europe s’effectue au détriment de l’offre légale. Cette concurrence déloyale affecte la capacité des services légaux à accroître et monétiser leur audience. Si les consommateurs peuvent utiliser à la fois les services illicites et les offres légales de streaming ou de téléchargement, cela ne signifie pas pour autant que leurs comportements illégaux sont sans conséquences dommageables.

Enfin, l’étude JRC est également contestable dans les problématiques qu’elle a choisi d’ignorer : Comment expliquer que les auteurs n’abordent pas la question de la corrélation  entre la destruction de valeur et le développement des usages illicites sur Internet depuis dix ans ?

 

Contact : David El Sayegh 01 47 38 04 04