Alors que Diana Ross vient d’embraser le dancefloor de Bercy, l’exposition Disco, I’m Coming Out décrypte, jusqu’au 17 août prochain, un phénomène à la fois musical et politique. A cette occasion, Amanda Lear revient, en exclusivité pour le Snep, sur une révolution en body lamé, étincelante et subversive. La Reine Lear nous a dit Follow Me, alors on l’a suivie dans cette exploration.
On pourrait croire le disco cantonné aux boules à facettes et aux refrains légers. Mais le disco, c’est bien plus que cela. Derrière ces hits qui font danser toutes les générations depuis près de cinquante ans, se cache une histoire musicale, politique et sociale plus profonde. L’exposition Disco, I’m Coming Out, encore visible quelques jours à la Philharmonie de Paris met à jour cet aspect méconnu : elle propose une immersion dans un univers né dans les clubs underground des années 70, et rappelle à quel point le disco continue d’imprégner les artistes d’aujourd’hui.
Pour mieux comprendre cette époque de l’intérieur, Amanda Lear, figure légendaire de cette scène, nous a confié son témoignage.

Une révolution par la fête
Le disco naît aux États-Unis, dans des clubs new-yorkais, fréquentés par des publics que la société tient alors en marge : noirs, latinos, gays, lesbiennes, trans, artistes, exilés. Ce n’est pas seulement une ambiance, c’est une bulle de liberté. On y vient pour danser, oui, mais aussi pour exister autrement. Le beat est régulier, les basses sont rondes, les voix puissantes, souvent féminines. La fête devient politique.
Dans ces clubs, les barrières tombent. Amanda Lear témoigne de ce moment charnière : « Grâce au disco, pour la première fois toutes les classes sociales se mélangeaient. Dans les clubs, on croisait des créateurs, des grands couturiers aussi bien que des employés de bureau, des ouvriers, toutes les ethnies, blancs, noirs, des gays, des hétéros… personne n’était exclu. La société a fait un immense bond en avant grâce à cette musique. »
Des figures féminines au premier plan
Le disco a placé les femmes au centre de la scène. Pas seulement en tant qu’interprètes, mais comme figures d’émancipation. Donna Summer, Diana Ross, Gloria Gaynor, Chaka Khan… elles chantent l’amour, la liberté, la résistance. Leurs chansons deviennent des hymnes : Love to Love You Baby, I Will Survive, I’m Every Woman… Amanda Lear, elle aussi, incarne cette époque avec flamboyance : « Du jour au lendemain, je suis devenue un symbole de liberté sexuelle. Mes tenues provocantes, mon répertoire, mes danseurs presque nus m’ont donné une image de femme agressive, fêtarde, sans complexes, libre de ses choix. Beaucoup de femmes me regardent comme un modèle de liberté, de culot, de joie de vivre. »
Le disco est un art total : il mêle son, danse, mode, performance. Il invente des codes esthétiques qui sont aujourd’hui ceux de la pop et de la scène queer.

Une mutation technologique
Musicalement, le disco est aussi un laboratoire de techniques et de nouveaux usages. Il introduit les synthétiseurs, les boîtes à rythmes, les remix, les maxi 45 tours, les samples. Les producteurs deviennent des architectes du son : Giorgio Moroder, Nile Rodgers, Jacques Morali… Derrière les artistes, ce sont eux qui sculptent une musique conçue pour le club, avant tout.
Amanda Lear a été l’une des premières à embrasser ce virage : « A cette période on a commencé à ouvrir des discothèques de plus en plus grandes. Alors qu’avant les boîtes (Castel, Chez Régine) étaient des endroits fermés qui ne laissaient entrer que les membres ou les bons clients. L’arrivée du Studio 54 de New York ou du studio One de L.A. a marqué le début d’un nouveau type de lieu de fête. La France s’est immédiatement emparée de cette tendance en ouvrant le Palace. Et un peu partout, se sont ouverts les Macumba, Pacha et autres discothèques, toujours plus grandes, avec lasers, stroboscopes et spectacles musicaux. L’ambiance était joyeuse, insouciante, la musique assourdissante. Paillettes et tissus colorés étaient de rigueur. J’ai inauguré le Palace le 23 septembre 1978 avec mon show et mes danseurs. Un événement énorme : le public se battait pour rentrer. Un souvenir incroyable. »

Un héritage bien vivant
Aujourd’hui, rares sont les styles musicaux qui n’ont pas été influencés, de près ou de loin, par le disco. Il a donné naissance à la house, à la dance, à certaines formes d’électro… Son empreinte est directement revendiquée par des artistes tels que Madonna, Daft Punk, Mark Ronson, The Weeknd ou Dua Lipa.
Dans l’hexagone, Juliette Armanet reprend le flambeau et repousse toujours plus loin Le Dernier Jour du Disco. Clara Luciani puise, elle aussi, dans ses rythmes dansants et ses grooves vintage, en pantalon pattes d’eph et chemise à col pelle à tarte.
Amanda Lear voit cette continuité comme une évidence : « Aujourd’hui le disco, que je croyais mort et enterré, continue sous d’autres noms. Dance music, RnB, techno… c’est toujours une musique pour faire la fête, des chanteuses en tenue provoc et sexy et des danseurs avec des chorégraphies déchaînées. Ce sont nos filles, nos héritières ! Avec Grace Jones, Donna Summer et les autres… on a ouvert la voie à Kylie Minogue, Beyoncé ou Nicki Minaj. Et c’est très bien comme ça !! »

Labels et studios : faire briller toutes les couleurs du disco
Si le disco a conquis les clubs comme les ondes, c’est aussi grâce à des studios et labels visionnaires.
A New York, Casablanca Records, Salsoul et West End affinent une esthétique taillée pour le dancefloor pendant que PIR impose depuis Philadelphie un son orchestral et militant. Même Motown, navire amiral de la soul, adapte son répertoire au rythme syncopé d’une musique à paillettes.
En France, Henri Belolo, fondateur de Scorpio Music, signe des artistes iconiques tels que les Village People ou Patrick Hernandez et exporte un son hédoniste à travers la planète. Les studios Ferber et CBE, véritables pépinières sonores, participent eux aussi à cette effervescence. Bernard Estardy, ingénieur du son de génie, est l’artisan d’une esthétique disco à la française, portée par des artistes populaires parmi lesquels Sheila B. Devotion, Dalida, Cerrone ou Claude François et par des musiciens virtuoses à l’image de Pierre-Alain Dahan ou Slim Pezin.

De ces bastions créatifs émerge une histoire musicale riche de métissages, de luttes et de conquêtes culturelles. La boule à facettes porte une revendication joyeuse et inclusive, plus réfléchie qu’il n’y paraît. Le disco est un acte de liberté, un espace de transformation, un genre fondateur en matière de représentation et de mixité, qui continue d’inspirer les artistes comme les publics dans leur quête d’expression et d’émancipation.
Le disco n’est pas une simple parenthèse dans l’histoire du XXème siècle. C’est une racine. Et ses branches continuent de pousser.