Publié le 23 janvier à 16h44 par Philippe Astor

Qu’il s’agisse des auteurs-compositeurs et éditeurs de musique, des producteurs de phonogrammes, des plateformes de musique en ligne ou des artistes eux-mêmes, et jusqu’aux musiciens de studio, tous les acteurs de la filière musicale plaident aujourd’hui en faveur d’un nouveau partage de la valeur dans la musique en ligne ; sur la base d’une correction du transfert de valeur massif qui s’est opéré ces dernières années en faveur des intermédiaires techniques sur Internet.

« En finir avec l’exception numérique ». Le mot d’ordre lancé par Jean-Noël Tronc, directeur général de la Sacem, dans une interview accordée au quotidien Les Echos cette semaine, semble devoir fédérer l’ensemble de la filière musicale à quelques jours de l’ouverture du Midem 2013. « La question principale est celle du partage de valeur entre les industries culturelles d’un côté et les industries électroniques, informatiques et internet de l’autre. C’est-à-dire les fabricants de terminaux et les grands services marchands d’Internet. Un transfert massif de valeur s’est opéré depuis quinze ans en Europe entre ces deux mondes », explique l’ancien conseiller spécial du PDG de France Télécom et ancien directeur général d’Orange France, à ce titre plutôt bien placé pour en juger.

La Sacem n’est pas le seul acteur de la filière à partir en guerre contre ce transfert de valeur. Après le fiasco du projet de création d’un centre national de la musique, le SNEP (Syndicat national de l’édition phonographique) se retrouve aujourd’hui sur la même longueur d’ondes. « Il est urgent de trouver le moyen de corriger ce transfert de valeur. Pas sous forme de licence légale, mais plutôt, en allant sur le terrain de l’enrichissement sans cause, sous la forme d’une rémunération compensatoire », confie son directeur général David El Sayegh. A la Sacem, Jean-Noël Tronc – dont le prédécesseur Bernard Miyet a longtemps préconisé de taxer les fournisseurs d’accès – s’avance sur un terrain similaire, en évoquant la mise en œuvre d’un dispositif calqué sur celui de la rémunération pour copie privée : « Le seul dispositif efficace et moderne qui existe dans toute l’Europe et qui permet un peu de rééquilibrage [en faveur des] créateurs de biens culturels », estime t-il.

Une impossible rentabilité

Dans un communiqué publié aujourd’hui, l’UPFI (Union des producteurs français indépendants), qui réclame la création d’un compte de soutien dédié au financement de la production musicale abondé par les fournisseurs d’accès, appelle elle aussi à la création d’un droit à rémunération en faveur des industries culturelles. L’idée n’est pas de créer un nouvelle exception au droit d’auteur, explique pour sa part David El Sayegh au SNEP, ni de nouveaux droits voisins, comme l’envisage la presse, mais de rétablir un juste partage de la valeur : « Alors que notre propriété intellectuelle devrait nous permettre d’obtenir une juste rémunération de nos catalogues auprès des plateformes de musique en ligne, ce n’est pas le cas, car l’essentiel de la valeur créée est captée par les intermédiaires techniques », justifie t-il.

Le constat est sans appel. En l’état actuel du partage de la valeur sur Internet, le numérique, qui promet de devenir peu à peu le principal canal de monétisation de la musique, n’est pas rentable pour son économie, quelque soit le maillon de la chaîne de valeur considéré. Y compris pour les plateformes de musique en ligne françaises, qui se disent étranglées par le montant des royalties reversées aux ayant droit, à hauteur de 70 % de leur chiffre d’affaires, et fragilisées par la concurrence déloyale d’acteurs internationaux essentiellement américains, qui sont implantés dans les pays européens les mieux disant fiscalement, au point de dégager jusqu’à 13 points de marge supplémentaires. « Aujourd’hui, il n’y a plus de place pour de nouveaux entrants, ni d’espace économique pour se développer. […] Si on ne fait rien, le secteur se concentrera bientôt autour de trois ou quatre acteurs internationaux », avertit dans Le Figaro Axel Dauchez, patron de Deezer et président du Syndicat des éditeurs de services de musique en ligne (ESML), qui réunissait ses membres en début de semaine.

Pour l’ESML, la solution au problème passe notamment par la mise en œuvre d’un taux de TVA réduit, mais également par un nouveau partage de la valeur avec les ayant droit, à 50/50 plutôt qu’à 70/30. « [Le partage actuel], inspiré de celui existant dans la grande distribution, ne permet pas d’investir dans l’innovation ou l’éditorialisation. Il doit être corrigé, dès lors que le producteur n’a plus à assumer les coûts de fabrication, stockage et distribution, et que le rôle de l’éditeur d’un service de musique en ligne va bien au-delà d’une simple fonction de distribution », ont fait valoir ses représentants lors de leur audition par la mission Lescure. Pas sûr que les ayant droit l’entendent de la même oreille, à moins peut-être qu’ils ne finissent par bénéficier en amont d’une rémunération compensatoire.

Les artistes en embuscade

Cette question du partage de la valeur, entre acteurs de l’Internet et industries créatives, ou encore entre ayant droit et plateformes de musique en ligne, est au cœur des enjeux actuels dans l’écosystème de la musique. Avec, en aval, celle du partage de la valeur avec les artistes. Pour l’Adami, qui représente les artistes-interprètes principaux, seule une gestion collective du streaming et du webcasting permettra d’assurer leur rémunération, avec une clé de partage plus équitable que celle prévue dans leurs contrats avec les labels pour la vente de leurs phonogrammes.

Un gestion collective qui a aussi les faveurs de la Spedidam, qui gère les droits perçus par les musiciens de studio au titre de la copie privée et de la licence légale (radios, télévisions, lieux sonorisés). Ces artistes là, qui cèdent leurs droits aux producteurs en échange d’un cachet lors des sessions d’enregistrement, ne perçoivent rien sur le streaming ou le webcasting. Cette cession contractuelle de leurs droits sur la vente de phonogrammes ne les a cependant pas empêchés, lors du vote de la loi Lang de 1987, qui instituait une gestion collective du broadcasting (radios libres) et de la copie privée, d’être inclus dans la boucle du partage de la valeur. D’où leur revendication sur le streaming et le webcasting, qui n’apparaît pas, historiquement, comme foncièrement illégitime.