L’industrie musicale, phénix de l’économie numérique

Tribune parue le 21 Février 2015 dans Le Monde©

par Bertrand Burgalat (Vice Président du SNEP) et Stéphane Le Tavernier (Président de Sony Music France et du SNEP)

Premiers des industriels de la culture à être touchés par la vague Internet, studios et labels de musique ont su se réinventer

En  2003, Libération titrait  » Le CD bientôt DCD « . Les difficultés auxquelles a été confrontée la musique enregistrée en ont fait le laboratoire de tous les bouleversements qui ont fait vaciller les professions intellectuelles, les services, le commerce. Depuis 2002, elle a perdu plus de 65  % de son chiffre d’affaires, mais elle s’est battue avec ouverture d’esprit et une bonne dose de stoïcisme face aux poncifs et aux préjugés.

En  2003, ce quotidien évoquait  » une industrie qui n’a pas su s’adapter « . Une décennie et quelques plans sociaux plus tard, les salariés licenciés de la presse, de l’édition ou de l’audiovisuel apprécieront. Car la désindustrialisation culturelle a succédé à la désindustrialisation tout court. Il était normal que la musique ouvre le chemin : il n’y a rien de plus immatériel que les ondes sonores.

Grande singularité et impasses

Pourtant les producteurs sont toujours là. Les artistes savent qu’ils font ce que personne ne fait, surtout pas ceux qui les considèrent avec condescendance comme des  » intermédiaires « . La création en studio ne doit pas se réduire à une photographie de la scène. Le théâtre filmé n’est pas le cinéma. La plupart des disques que nous aimons, y compris les moins commerciaux, n’auraient pu être conçus de cette manière, encore moins dans un système de licence globale où tous les moyens d’expression seraient attribués sur dossier.

Quant au  » do it yourself « , il peut engendrer des œuvres d’une grande singularité, mais aussi des impasses. On ne peut pas à la fois demander le respect des conventions collectives et prôner l’économie précaire, défendre le statut des intermittents et encourager la délocalisation des productions.

Les producteurs français, qui perçoivent 10  % des recettes réelles et assurent l’intégralité des dépenses d’investissement, sont les seuls au monde à ne pas partager leurs échecs. Les artistes perçoivent en effet un pourcentage des ventes dès le premier disque vendu, quand les  » royalties  » des contrats anglo-saxons ne s’appliquent qu’une fois les frais de production amortis.

On a tendance à idéaliser ce qu’a été la musique avant Internet, mais il n’a jamais été facile d’en faire et d’en vivre. Le rôle des labels a toujours été de mettre les risques en commun pour permettre à des projets difficiles de se concrétiser grâce au succès des autres.

créer des richesses

Aujourd’hui, le problème est moins de partager des richesses qui s’amenuisent que d’en créer. Le numérique a permis un accès plus facile aux moyens de production et de diffusion, mais l’illusion du tout-gratuit a amplifié les inégalités et concentré le pouvoir entre les mains des bases de données géantes.

Il faut beaucoup de courage aux politiques pour ne pas céder aux appels à la gratuité qui fait le jeu des marchands d’algorithmes au détriment des créateurs, ou à l’exaltation des chauffards du Net. Face aux images d’Epinal, il convient de souligner la complémentarité entre  » gros  » et  » petits  » labels, musiciens et mélomanes.

Les cartes sont sur la table : l’offre légale s’est diversifiée, la musique et la chanson francophones s’exportent et bénéficient, à leur manière, de la dématérialisation des échanges. En  2014 le streaming, cette lecture par flux qui concilie droits des artistes et attentes des auditeurs, a progressé de 34  %. On ne peut pas en dire autant de la musique sur la bande FM ou la TNT, avec des diffuseurs qui trahissent délibérément les engagements qui fondent l’obtention de leurs concessions.  » Les maisons de disques n’ont pas su anticiper les nouveaux enjeux technologiques « , disait-on. Et vous ?